antoine franchet

Soit une expérience de pensée qui trouverait sa concrétisation dans la fabrication d’un dispositif à mesurer la distance qui me sépare de l’autre.
Ce dispositif serait mis en oeuvre par l’association de trois principes, à savoir : une mise au point de courte distance pour maintenir le sujet au flou, un temps de pose rapide mais pas assez pour figer le mouvement et enfin, une des mains de l’expérimentateur qu’il aura au préalable ganté de noir, placée devant l’objectif.
Alors, ainsi équipé, je me mets à suivre l’autre, je me mets dans ses pas, à une distance idéale pour faire rentrer l’autre dans le cadre défini. Notre marche se synchronise, notre distance, notre écart pour un temps est maintenu.
Et dans ce temps que je cherche à suspendre, cette machine se met en action.
Elle va chercher à mesurer l’écart qui me sépare de l’autre. Elle cherche à mesurer la distance qui sépare nos deux mondes, le mien et celui de l’autre.

Or, la mécanique quantique nous apprend, selon le principe d’incertitude d’Heisenberg, que plus on essaie de connaître une des propriétés d’un objet comme par exemple sa position, moins on pourra en déterminer une autre, genre, son énergie. Ce n’est pas que la mécanique quantique peine à mesurer les deux, mais l’impossibilité fondamentale à les déterminer ensemble, et l’on préférera donc parler de principe d’indétermination, principe qui ne va pas sans nous interroger dans le cadre de notre expérience.

Ainsi, plus cette machine expérimentale va réussir à déterminer la position de l’autre et donc ma distance à l’autre, moins elle va réussir à connaître l’énergie qui nous unit, notre relation. En fait, elle va presque effacer l’autre, le plonger dans un noir indicible, comme pour être sûr que l’autre restera bien dans son monde, ne servira que de faire-valoir à l’existence même de la machine et que toute rencontre est impossible.
Elle semble ainsi s’être animée d’une idéologie propre à elle-même, une idéologie ambigüe : elle voudrait me faire croire que, malgré le fait que nous soyons, moi et l’autre, deux êtres humains à quelques pas l’un de l’autre, nous évoluons dans des mondes totalement séparés.

Alors, parfois, je ralentis. Je laisse un autre me dépasser. Et parfois aussi, je m’arrête et j’attends l’autre. Je tente une timide rébellion contre le protocole de l’expérience, contre la machine. Hélas, la rencontre avec l’autre ne se fait pas. Cette expérience ne me rapprochera pas de l’autre, pire, elle m’assimilera un peu plus au dispositif qu’elle-même m’a proposé.

I. LE MONDE DE L’AUTRE

Soit une expérience de pensée qui trouverait sa concrétisation dans la fabrication d’un dispositif à mesurer la distance qui me sépare de l’autre…