Il va s’agir là de presser le monde entre mes mains.
Il faudra ne garder qu’une brèche de laquelle il puisse s’extraire.

Il faut en effet ne garder que ce qui fait sa spécificité, ce qui en fait son unicité, laisser de l’autre côté le reste.
Il faut ne capter que cette faible lumière qui s’arrache hors de la brèche, et affirmer que ceci est le monde, puisque c’est cela que j’observe.

Il faut donc forcer celui-ci à se déterminer vis-à-vis de moi, dans la relation qu’il entretient à moi-même, dans cette interaction entre lui et mes mains.
Il faut qu’il choisisse ce qu’il veut garder de lui-même dans ce qu’il offre à ma vue.

Pour justifier la démarche que je lui impose – ou pour nous sortir de l’impasse vers laquelle ce dirige notre relation – je lui propose un protocole qui aura pour but d’aider à identifier cette brèche. 

Ainsi, nous allons nous placer dans le rôle de l’observateur de la mécanique quantique, celui du chat de Schrödinger, celui qui va, par son observation, réduire le paquet d’ondes et ainsi réduire le système qu’il observe. Ainsi, le Monde va-t-il jouer le rôle du chat et mes deux mains celui de la capsule de poison. 

Je n’ai pas encore de réponse quant à savoir qui ou quoi joue le rôle du compteur Geiger, cet appareil qui déciderait de briser la capsule de poison et ainsi déterminer le destin du chat. Peut-être la sur-répétition de l’expérience pourrait jouer ce rôle-là.
Néanmoins, j’arrive ainsi à capturer un état du Monde, fruit de cette interaction entre lui et mes mains. 
Notre bricolage justifie alors sa propre existence.

Mais selon l’interprétation d’Everett, le Monde ne s’est pas réduit lors de mon observation, et ceci en est presque rassurant. Non, dans le temps de l’observation, a été créé une bifurcation. De même que pour Everett, le chat mort et le chat vivant coexistent dans deux univers différents, et bien, le Monde tel qu’il est et le Monde tel que je l’ai capturé coexistent dans deux univers qui ont bifurqué l’un de l’autre ( «many worlds » ) .

Ainsi je pars rassuré, le Monde reste le Monde ; moi, j’ai juste créé un autre Monde.

Ou peut-être, comme le disaient certains à propos des différentes interprétations possibles de l’expérience du fameux chat : «  Shut up and calculate ! », ce qui, rapporté à mon travail pourrait se traduire par « Tais-toi et prends des photos ! » 

I. LE MONDE DANS UNE BRÈCHE

Il va s’agir là de presser le monde entre mes mains.
Il faudra ne garder qu’une brèche de laquelle il puisse s’extraire…